L'échappée belle


On a pris la route vers 16h30 lundi soir. En gloussant comme les deux ados que nous ne sommes plus depuis longtemps, avec un thermos de thé qu'elle n'aime pas mais ça je ne le savais pas en le préparant, en pestant contre les GPS intégrés à nos smartphones qui semblaient vouloir n'en faire qu'à leur tête, mais ravies de constater que la circulation parisienne de fin de journée nous faisait une fleur en nous épargnant les habituels ralentissements.
Elle n'a pas du tout, mais alors pas du tout aimé le tube, ce tunnel sur l'A86 qui ne semble jamais vouloir finir. À sa décharge, payer plus de 9€ pour frayer avec sa claustrophobie pendant 10 kilomètres, je dois avouer que ça a de quoi laisser pantois.
À Versailles, on attaquait le paquet de gâteaux à la noix de coco et aux pépites de chocolat qu'une de ses gentilles patientes lui avait offert quelques jours auparavant, et moi, je me suis ébouillanté la langue en voulant goûter le fameux thé. Beaucoup trop chaud.

J'ai bien dû nettoyer une trentaine de fois ses lunettes, de vue ou de soleil, à croire que c'est mon destin de co-pilote. Elle se prend pour Eleanor Roosevelt, ça me fait doucement marrer mais en fait, je l'admire. Moi, plus modestement, je n'ai pas pu m'empêcher de prendre des photos par la fenêtre, le jour était en train de disparaître et c'était beau.
On a parlé de nos vies, de nos maris, de nos maisons, un peu aussi de cet enfant que je n'aurai jamais. De nos parents qu'on avait réussi ce soir-là à fuir un peu en s'évadant toutes les deux, mais qu'on n'arrive jamais à oublier assez. Par moments, c'est vraiment pesant. Des copains, ceux que j'ai perdus et qu'elle a su garder, des inévitables déceptions qui accompagnent certains moments de l'existence. On a déterré de vieux souvenirs de jeunesse, et pour le coup, on s'est pris un sacré coup de vieux.

Finalement, au bout de 400 kilomètres, le thé, elle l'a bu avec moi, j'y avais mis assez de sucre pour le rendre supportable. On a aussi réussi à se faire remarquer dans chaque station service où nous nous sommes arrêtées, le temps d'une pause technique ou d'un ravitaillement express, un peu façon Laurel & Hardy, elle avec sa classe naturelle, son écharpe pleine de strass et son rire haut perché, moi avec mon vieux jean, mes cheveux en pétard, mes kilos en trop et mes Converse dégueus. On s'est très peu posé de questions au moment de renoncer à la chambre d'hôtel que MariChéri nous avait réservée pour nous éviter de faire toute la route d'une seule traite. Quand la nuit est devenue très noire, elle a glissé un truc improbable dans le lecteur CD de son cabriolet : un disque que j'ai gravé à sa demande il y a bien 20 ans et qu'on avait brillamment intitulé "Chansons... tristes !". Bah forcément, on a re-gloussé. Et on s'est prises pour Bibi en chantant Tout doucement tout sauf doucement sur l'autoroute.

On est arrivées peu avant minuit, on a serré fort nos cousines dans nos bras, d'ailleurs, c'est marrant, depuis, j'ai appris que les mots sœur et cousine se traduisent tous les deux de la même façon en latin, soror en l'occurrence. Les petits n'étaient pas couchés, ils avaient veillé parce qu'ils voulaient savoir à quoi on ressemblait, nous ont embrassées comme du bon pain avant de remonter en pyjama et pieds nus l'immense escalier de bois menant à leurs chambres. Ma tante nous avait préparé de la daube, je l'ai mangée accompagnée de brocoli sans même m'en rendre compte. Probablement parce que j'étais en même temps en train de l'arroser d'un excellent bordeaux.
Vers 1 heure du matin, nous nous sommes glissées sous les draps, dans cette chambre sous les toits dont les murs sont couverts de tableaux qui se trouvaient chez nos grands-parents. Fatiguées. Surtout elle, elle avait sa journée de boulot dans les pattes en plus du trajet. Épuisées mais étrangement heureuses. Ça faisait tellement longtemps que nous n'avions passé autant de temps ensemble, rien que toutes les deux. Il paraît que j'ai ronflé. Malgré ça, nous nous sommes levées après tout le monde.

Et mardi, peu après 15 heures, ma sœur et moi, nous avons dit dans les larmes un dernier au-revoir à notre oncle.

*

Commentaires

  1. Ce texte est si beau ma copine <3 , courage à vous et surtout vivez le présent .gros bisous calins ma copine de la haut

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  2. Malgré les circonstances, un beau moment de partage entre sœurs ♥

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  3. Quel merveilleux texte.... Je t'embrasse fort !

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  4. (ah et plus léger, j'ai pris une fois une seule le "tube" : PLUS JA-MAIS ;-) )

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  5. Très joli récit... plein de bisous <3

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  6. Un texte bien agréable a lire tant dans la forme que la forme .UN moment que je voudrais se donner le temps de mettre a exécution mais tu me donnes une grande idée qui sera mise a exécution avant l'été ! Parole de Bretonne
    Bonne journée Marie-Pierre

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  7. c'est très joli. Il y a des moments comme ça, dans des réunions de famille impromptues, où tout à coup on se retrouve 20 ou 30 ans en arrière comme si c'était la veille avec des personnes qui étaient si proches. Et puis une fois la parenthèse refermée, j'ai toujours un drôle de goût dans la bouche parce qu'en fait rien ne change

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  8. que tu écris bien, j'ai été emportée et émue par ton récit

    bises

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