Mamie...

Tu t'emmêlais souvent les pédales dans les prénoms de tes quatre petites-filles, je ne compte plus le nombre de fois où tu m'as appelée Laurence.

Tu nous remplissais d'eau de grandes bassines en zinc, où nous barbotions des après-midi entières les chaudes journées d'été.

Il y avait, dans un tiroir de ta salle-de-bain, un tube de Rouge Baiser qui devait dater des années 50, tellement vieux en tout cas qu'il tenait plus de la craie que du rouge à lèvres. Et dans le même temps, je ne t'ai jamais vue porter la moindre trace de maquillage.

Tu supportais, tous les mercredis matins, que ma pie salisse les vitres de ta cuisine, toute excitée qu'elle était de me retrouver pendant que je déjeunais.

Je n'ai jamais mangé de meilleure gelée de groseilles que la tienne. Même si, pour ça, il nous fallait passer des heures de cueillette au jardin.

Tu parlais l'anglais de ton enfance, celui qu'il te restait de tes quelques années de vie au Pays-de-Galles quand tu étais toute petite, et tu nous éclatais avec ça !

Tu dessinais tellement bien que je te demandais toujours de m'aider à illustrer mon cahier de poésie.

Tu nous achetais du bain moussant dans des flacons en forme de pingouins, on jouait avec pendant des heures dans la baignoire une fois qu'ils étaient vides.

Les coquillettes que tu nous préparaient le mardi soir étaient toujours trop cuites, beaucoup trop cuites, c'était des Rivoire et Carret et moi, je viens de découvrir que la marque existe toujours.

Tu avais les mains toutes abîmées, à force de jardiner, de bricoler, mais je n'ai jamais rien connu de plus doux que leurs caresses.

Le seul produit de beauté que je t'aie jamais vue utiliser, c'était du lait pour bébé Mustela.

Tu as refusé de porter la robe que Papy t'avait achetée pour l'occasion, le jour de vos 50 ans de mariage, parce que la couleur ne te plaisait pas, et c'est bien la seule fois où je t'aie vue lui tenir tête.

Tu tricotais et cousais des robes pour nos poupées, j'en ai encore quelques unes aujourd'hui.

Le dimanche midi, il y avait invariablement des œufs mimosa et un gâteau renversé à l'ananas à ta table.

Tu allais chez le coiffeur, faire ta mise en plis, le vendredi matin et, immanquablement, tu nous achetais des Kinder Surprise, sur le chemin du retour, même quand on est devenues bien trop grandes pour ce genre de choses !

Tu allumais toujours une bougie quand on faisait des crêpes, tu disais que ça empêchait les odeurs de se répandre dans la maison.

Tu adorais les améthystes, c'était d'ailleurs la seule pierre que tu portais.

Tu étais obligée de planquer le Calcigénol, pour ne pas que je le sirote en douce, comme une gourmandise, c'était pourtant un médicament.

Tu nous préparais de petits gâteaux individuels aux zestes de citron pour le goûter du mercredi après-midi.

Je te revois, avec tes grands yeux bleus émerveillés, à DisneyLand, à l'autre bout du monde, tu m'as donné l'impression d'avoir cinq ans ce jour-là.

Tu étais la seule personne de la famille à tout savoir de toutes les autres. Parce que tu étais la discrétion faite femme. Jamais je n'ai connu une personne inspirant autant confiance.

Tu m'as appris à broder et à tricoter. J'aime toujours autant le faire aujourd'hui.

Il y avait, dans ton salon, près du canapé, une boîte métallique toujours remplie de caramels au lait Lutti.

Tu n'avais pas ton pareil pour allonger la durée de vie des vêtements qu'on adorait, dont on ne parvenait pas à se séparer malgré l'usure du temps. Tu faisais du neuf tellement beau avec notre vieux.

Tu regardais toujours Tournez Manège en préparant le repas du midi. Tu avais toujours un avis sur les candidats, sur les candidates surtout. Et tu kiffais Charly Oleg.

Tu me laissais parfois tourner la manivelle de ton hachoir à viande quand tu préparais ta délicieuse terrine de foie.

Tu chantais Le Temps des Cerises en repassant, en boucle, pendant des heures, et tu n'as même jamais réussi à m'en dégoûter.

Tu n'aimais pas quand je portais du rouge, en fait, je n'en ai jamais porté qu'une fois en ta présence, ta réaction m'a dissuader de réessayer.

Tu attendais mon retour, tous les après-midi, quand j'étais à la fac, avec mon goûter tout prêt. Et nous faisions ensemble une grille de mots croisés avant que je ne rentre à la maison.

Tu aurais adoré mon Mari, même si je suis certaine que tu aurais trouvé le moyen de l'appeler Bertrand ou Bernard, au lieu de Bruno. Et Lui te l'aurait bien rendu, je n'en doute pas. L'amour, hein, pas le prénom-à-côté-de-la-plaque.

Tu aurais eu cent ans aujourd'hui et tu as été la meilleure grand-mère dont une petite-fille puisse rêver. Tu m'as offert de grandir dans un environnement privilégié, un environnement tout fait de confiance et d'amour, tout ce dont un enfant a besoin pour pousser sereinement.
Voilà aujourd'hui plus de vingt-trois ans que tu es partie. Vingt-trois ans que tu me manques et que je me dis que j'aurais bien besoin de toi à mes côtés. Vingt-trois ans que chaque jour je pense à toi. Vingt-trois ans que je donnerais tout pour que tu me prennes dans tes bras.
Je voudrais que tu me tiennes la main, Mamie, encore, encore. Et pour toujours.

*

Commentaires

  1. Quel bel hommage ! Tu as dû être tellement heureuse auprès d'elle !
    Les mots me manquent mais j'ai retrouvé beaucoup de souvenirs communs avec une de mes mamies et mes 4 grands parents me manquent tellement !! Ils sont partis il y a bien longtemps mais c'est toute mon enfance qui est attachée .
    Merci pour ce tendre partage .

    RépondreSupprimer
  2. Ho Anne Laure, je viens de me rendre compte qu'aujourd'hui c'est la date anniversaire à laquelle j'ai perdu aussi ma Mamie, Agnès, dont c'est la fête aujourd'hui...

    RépondreSupprimer
  3. ho les caramels au lait lutti ... ma grand mère aussi, dans une bonbonnière genre cristal ciselé très laide, c'était les seules sucreries de la maison alors je les mangeais ... comment je pouvais manger ça ... maintenant ce serait ma madeleine d'en reprendre ! Où est cette bonbonnière ?

    RépondreSupprimer
  4. magnifique billet qui me rappelle aussi les miennes <3

    RépondreSupprimer
  5. tu me fais pleurer... joli hommage !

    RépondreSupprimer
  6. ho la la je pleure, voilà. Il faut dire que si ma mamie à moi n'était pas de genre là, le tube qui datait de 1950 dans le tiroir alors que jamais elle ne se maquillait, elle l'avait aussi.

    RépondreSupprimer
  7. Ton billet est très touchant ♥ Ta mamie avait l'air d'être une super personne

    RépondreSupprimer
  8. Bel hommage, bravo. En lisant ton billet et le portrait de cette super mamie attachante, je n'ai pu m'empêcher de penser, qu'elle vivait encore en toi. Et c'est le plus beau des cadeaux :)

    RépondreSupprimer
  9. Pfff compte Google de M2. C'est Pr@linette hein ;-)

    RépondreSupprimer
  10. Ton billet me met les larmes aux yeux car je pense à ma mamie qui me manque beaucoup aussi...
    Sinon, pour les prénoms, ma grand-mère est spécialiste mais contrairement à toi, je ne porte jamais le nom d'une de mes cousines... mais celui de ma mère ou de ma tante (Laurence aussi, d'ailleurs, il doit y avoir un truc...)!!!

    RépondreSupprimer
  11. Tu m'as fait pleurer tellement ce texte est beau et rempli d'amour...

    RépondreSupprimer
  12. tu es si touchante que j'en pleure...moi aussi j'avais une grand mère avec laquelle j'ai fait des choses d'un autre siècle
    bises

    RépondreSupprimer
  13. juste plein de coeur pour toi mon amie .....

    RépondreSupprimer

Publier un commentaire

Et si tu me laissais un petit mot...?

Posts les plus consultés de ce blog

Les pourquoi en images 2014 - Philippe Vandel

Rassurez-moi, vous dites bonjour à vos voisins, vous...???